L'impact des biais cognitifs et de la communication non verbale dans le recrutement est un sujet fascinant et crucial pour les professionnels des ressources humaines.
En tant que Psychologue et recruteur expérimenté, j'ai observé à maintes reprises comment ces éléments peuvent influencer, positivement ou négativement, le processus de sélection des candidats.
Nous en avons assez longuement parlé lors du dernier TruGeneva 2023 et je m’étais promis de faire un article qui traite de ces deux sujets dans le recrutement : Les biais et le non-verbal !
Alors c'est parti !
D’abord c’est quoi un Biais Cognitif ?
Un peu de théorie et de définition :
Les biais cognitifs sont des tendances ou des distorsions dans la perception, la mémoire, le jugement et le raisonnement qui affectent la manière dont les individus interprètent et interagissent avec le monde.
Ces biais résultent souvent de la tendance du cerveau à prendre des raccourcis dans le traitement de l'information pour économiser de l'énergie et du temps. Cependant, ces raccourcis peuvent mener à des erreurs de jugement ou à des interprétations inexactes de la réalité
Voici quelques caractéristiques clés des biais cognitifs :
Automatisme : Ils opèrent souvent de manière inconsciente, influençant notre comportement sans que nous en soyons pleinement conscients.
Efficacité : Ils sont en partie une conséquence de la façon dont notre cerveau optimise le traitement de l'information en évitant l'analyse détaillée de chaque situation.
Distorsion : Ils peuvent fausser notre perception de la réalité, nous menant à des conclusions incorrectes ou irrationnelles.
Universalité : Tous les humains sont sujets à des biais cognitifs, bien que leur manifestation puisse varier selon les individus et les contextes.
Influence sur les Décisions : Les biais cognitifs affectent nos décisions, nos croyances, nos interactions sociales et peuvent contribuer à des jugements erronés et à des préjugés.
En recrutement, ces biais peuvent fausser notre jugement et conduire à des décisions inappropriées.
Quelques exemples:
Biais de Confirmation: Tendance à favoriser les informations qui confirment nos croyances préexistantes. Par exemple, si nous croyons qu'une certaine université produit de meilleurs candidats, nous pourrions ignorer les compétences et les réalisations des candidats d'autres écoles.
Effet de Halo: Juger un candidat basé sur une seule caractéristique positive. Par exemple, si un candidat a travaillé pour une entreprise prestigieuse, nous pourrions surévaluer ses compétences dans d'autres domaines.
Biais de Similarité: Préférer les candidats qui nous ressemblent, que ce soit en termes de personnalité, de parcours éducatif ou d'expériences de vie.
En plus des biais déjà mentionnés, il est important de considérer d'autres biais cognitifs courants dans le recrutement.
Notez bien qu'il en existe plus de 150 (officiellement !)
Effet Dunning-Kruger: Ce biais survient lorsque des individus avec une compétence limitée dans un domaine surestiment leur propre compétence.
Effet de Bandwagon: Tendance à faire ou croire quelque chose parce que beaucoup font ou croient la même chose. Dans le recrutement, cela peut se manifester lorsqu'un panel d'entretien favorise un candidat simplement parce qu'un membre influent du panel le soutient.
Le Non verbal en entretien ?
La communication non verbale, comme le langage corporel, les expressions faciales (aussi appelées micro-expressions) et le ton de la voix, jouent également un rôle crucial dans l'évaluation des candidats.
Ces indices peuvent révéler des émotions, des attitudes, voire des pensées cachées que le candidat peut ne pas partager explicitement. Par exemple, le fait de tapoter nerveusement peut suggérer de l'anxiété, tandis que le contact visuel soutenu peut indiquer de la confiance.
Mais ce n’est pas de la magie et surtout chaque être humain est différent !
Un candidat qui maintient un contact visuel et a une posture ouverte peut paraître plus confiant et fiable (et nous avons bien utilisé le verbe « paraître »).
Les micro-expressions faciales peuvent (pour des gens extrêmement entrainés) révéler des émotions cachées ou des réactions non dites (comme dans la série de la fin des années 2000 : Lie To Me).
Le Non Verbal et la PNL
La Programmation Neuro-Linguistique (PNL) étudie la manière dont nous communiquons et nous comportons. Elle suggère que le langage corporel, le ton de la voix, et le choix des mots peuvent révéler beaucoup sur les pensées et les sentiments d'une personne.
Cependant, à mon humble avis (et pour l’avoir étudié un peu), la PNL est plus un art qu'une science exacte, dans le sens où elle est sujette à des interprétations non empiriques.
Bien qu'elle puisse offrir des insights intéressants, elle ne doit pas être utilisée comme un outil d'évaluation définitif.
Son efficacité dépend largement de la compétence de l'observateur et elle devra être prise en compte avec d’autres facteurs (cela paraît évident mais en psycho on n’utilise jamais un outil seul, il fait partie d’une gamme d’éléments pour poser un diagnostique ou un constat).
Utiliser et ne pas se laisser abuser par ce savoir !
Comment utiliser ces connaissances ?
Voici quelques pistes pour ne pas se perdre en route et se prendre pour un apprenti sorcier :
Sensibilisation: S'auto-former et former les équipes de recrutement sur les biais cognitifs et la communication non verbale.
Processus Structurés: Mettre en place des processus de recrutement structurés pour minimiser l'impact des biais personnels.
Diversité des Panels de Recrutement: Inclure divers membres dans les panels d'entretien pour équilibrer les perspectives.
Références Croisées: Utiliser plusieurs méthodes d'évaluation pour croiser les informations (entretiens, tests de compétences, références).
Formation aux Biais: Organiser des formations régulières pour aider les recruteurs à reconnaître et à gérer (je dirais plutôt anticiper) leurs propres biais.
Et même avec tout cela on peut se faire avoir…
Alors comment éviter les pièges ?
La réponse universelle serait : en challengeant toujours ses propres sentiments, ressentis, impressions. Et comme c’est extrêmement complexe, on peut déjà adopter les réflexes suivants :
Ne pas trop se fier au langage corporel. Certaines personnes peuvent être nerveuses en entretien, ce qui ne reflète pas nécessairement leurs compétences réelles.
Utiliser des outils d'évaluation objective (et les mêmes pour chaque candidat), comme les tests de compétences, ou une scorecard unique (pour éviter le biais de confirmation ou autre), pour compléter l'évaluation subjective.
Lorsqu'un candidat semble extrêmement confiant, questionnez-vous si c'est une manifestation de l'effet Dunning-Kruger.
Si un panel d'entretien semble unanimement en faveur d'un candidat sans raison solide, envisagez l'effet de Bandwagon.
La Conscience de ses limites: clé de la prévention
Le point le plus crucial dans la gestion des biais cognitifs et de la communication non verbale est la conscience de soi. Comprendre et reconnaître ses propres biais est essentiel. Un recruteur doit toujours se questionner sur les raisons sous-jacentes de ses jugements et décisions
Self Awareness is the key !
Par exemple:
Si vous trouvez un candidat particulièrement agréable, demandez-vous si cela influence votre évaluation de ses compétences.
Soyez conscient des tendances à favoriser des candidats qui vous ressemblent ou partagent votre parcours.
Conclusion
En tant que recruteurs, il est essentiel de reconnaître et de comprendre l'impact des biais cognitifs et de la communication non verbale. Une approche équilibrée et bien informée peut vraiment améliorer la qualité et l'équité du processus de recrutement.
Selon l’adage, on ne peut avoir confiance qu’en soi-même… Et bien en ce qui concerne les biais et la communication non-verbale je dirais que l’on peut utiliser ces deux maximes de Platon (qui parle lui-même de Socrate) pour en tirer quelque chose pour nous : « Connais-toi toi-même » et « Je sais que je ne sais rien ».
Ce qui donnerait (pour moi) :
« Je me connais suffisamment bien pour savoir que je ne peux pas me fier à mes jugements »
Bonjour, je viens de lire votre article, que j'ai troruvé très intéressant et très juste à l'exception que la PNL n'est pas le bon moyen d'aborder la science de la communication non verbale. Je vous suggère plutôt ces sources francophones (www.sciencenonverbal.ca, ou https://www.gibert.com/votre-intuition-ce-superpouvoir-8271824.html ou pour des formations www.sherlockplus.ca), et dans le milieu anglophone, se référer à Paul Ekman, David Matsumoto etc...
Une bonne approche, qui donne envie d'approfondir :) à mettre en toutes les mains !